mercredi 9 décembre 2015

Frankenfish et autres aliments “de laboratoire”

Les Etats-Unis autorisent pour la première fois la vente de saumon transgénique, baptisé “Frankenfish” par ses détracteurs. Une tendance à l’aliment “de laboratoire” qui prend de l’essor outre-Atlantique.

Il n’aura fallu qu’une vingtaine d’années pour que le saumon transgénique – baptisé « Frankenfish » par ses ennemis – soit officiellement autorisé dans les assiettes américaines par la Food and Drug Administration (FDA, agence de santé américaine). Il est l’œuvre de la société AquaBounty Technologies (Massachusetts) qui a créé un saumon grossissant deux fois plus vite que ses congénères en lui injectant des gènes de saumon chinook du Pacifique – pour accélérer sa croissance – et ceux d’une anguille de roche – pour résister au froid, qui stoppe cette croissance durant l’hiver. Le but de l’opération était clair  : produire et vendre deux fois plus vite en réduisant de moitié le coût de l’élevage. Pas question d’améliorer le goût ni la qualité, ni de modifier l’apparence, simplement de doubler les volumes et les bénéfices.

Dès le début de son processus d’homologation, « Frankenfish » a suscité l’opposition de nombreux secteurs  : associations de consommateurs, militants anti-OGM ou pêcheurs professionnels, qui ont multiplié les recours et les enquêtes d’impact pour retarder sa mise sur le marché. S’il apparaît prématuré d’évaluer les risques pour la santé humaine en l’absence de toute consommation de masse, la question de son éventuelle prolifération en milieu naturel et de la contamination des saumons sauvages en cas d’évasion de ses fermes d’aquaculture mérite d’être posée. Différentes études ont montré que le croisement entre saumons d’élevage et sauvages conduit à terme à l’affaiblissement, voire à l’élimination de ces derniers.

Pas de mention « OGM »

AquaBounty affirme avoir réglé le problème en élevant uniquement des femelles stériles (triploïdes) qui ne pondent pas, et en installant ses sites de production à l’intérieur des terres et en milieu fermé. Au Canada, où, en cas d’évasion, les petits « Frankenfish  » ne survivraient pas dans les eaux trop froides, et à Panama, où, à l’inverse, les eaux trop chaudes les condamneraient à une mort certaine.
La FDA a cependant précisé qu’en aucun cas ce saumon transgénique ne pouvait être élevé sur le territoire des Etats-Unis. Courageux mais pas téméraire  ! La mention «  contient des OGM  » n’a pas été jugée nécessaire sur les étiquettes. Puisqu’on certifie que «  Frankenfish  » est comestible, pourquoi ajouter plus de détails qui ne pourraient que susciter de la confusion chez le consommateur, tel est le raisonnement de la FDA. AquaBounty souligne de son côté que la production de ces saumons transgéniques sera créatrice d’emplois et contribuera à relever le défi de nourrir 9 milliards de Terriens à l’horizon 2050.

C’est l’un des principaux arguments de tous les promoteurs d’une nouvelle façon de manger, grâce à des aliments concoctés dans le secret des laboratoires. Le mouvement est en marche depuis quelques années sur la Côte ouest des Etats-Unis autour de la Silicon Valley où fleurissent les start-up décidées à briser le modèle alimentaire dominant. Comment  ? En remplaçant les protéines animales par des protéines végétales ou de synthèse, ce qui permettra en outre de réduire la consommation de viande, pour le plus grand bien de l’environnement et de la santé de l’humanité. Tel est le discours de base qui n’est pas destiné à un petit cercle de végétariens ou autres mais vise à convaincre l’ensemble du public.

Agriculture cellulaire

Selon Tim Geistlinger, de Beyond Meat, qui a créé un Beast Burger à base de pois jaunes du Canada et de 35 autres ingrédients, «  l’objectif n’est pas de produire un substitut à la viande mais un aliment riche en protéines, sans soja ni OGM  ». Ces «  nouveaux aliments  », fruits d’une agriculture cellulaire – à base de cellules souches ou artificielles –, se multiplient comme des petits pains  : mayonnaise sans œuf d’Hampton Creek, œufs sans poule de Clara Food, lait de vache sans vache et à base de levures de Muufri, viandes et fromages à base de plantes chez Impossible Foods…

Les «  nourritures  » ainsi produites gardent néanmoins l’apparence de leur nom et nécessitent un minimum de préparation avant d’être mangées. Avec Soylent (Soylent.com), on passe au stade supérieur. Plus question de perdre son temps à faire ses courses, à cuisiner ou à s’asseoir à table pour le repas, toutes activités nuisibles au travail et à la rentabilité. Soylent a la solution  : une poudre contenant tous les éléments nutritifs nécessaires au corps humain, qu’il suffit de dissoudre dans deux ou trois volumes d’eau et d’avaler vite fait avant de retourner devant son écran. Dix dollars la ration quotidienne de 2 000 calories, breakfast, déjeuner et dîner. L’équivalent du passage à la pompe à essence pour l’homme, qui pourra choisir son carburant sans plomb ou sans gluten en fonction des mélanges disponibles. Après le fast-food et la junk food, place à la « Frankenfood ». Appétissant, non?
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Source  : lemonde.fr, JP Géné, 09/12/2015

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