mercredi 13 janvier 2016

Si la France disait "stop à la malbouffe"?

Trop de protéines animales, de calories vides ont conduit à une pandémie d'obésité et de diabète. On peut sortir de ce modèle, assure le nutritionniste.

Les nations riches occidentales ont toutes adopté le même type d'alimentation : riche en protéines animales, en calories vides faites de sucres et de graisses ajoutés, en nourritures industrielles faciles à consommer. Après un demi-siècle de « transition alimentaire », le temps serait enfin venu de nous interroger sur la manière de mieux gérer la chaîne alimentaire et de bien se nourrir. Il y a urgence, ce système alimentaire a provoqué une épidémie d'obésité et de diabète chez les sujets les plus fragiles et abouti à une longévité en bonne santé fort médiocre. L'agriculture souffre et pollue. Pour générer une nourriture abondante et peu chère, elle doit fournir des denrées à très bas prix, souvent inférieur au prix de revient. Pour survivre, les agriculteurs ont dû intensifier leur production et sont devenus dépendants de subventions directes ou indirectes, mais leur nombre n'en finit pas de diminuer. Pourquoi ne pas changer de système, adopter des modes alimentaires plus durables et développer une authentique « agroécologie ».

Une chaîne alimentaire peu durable !

Même s'il a généré de l'abondance, le bilan social, sanitaire, écologique du système alimentaire occidental n'est pas bon, mais nous avons du mal à le remettre en question. La pandémie d'obésité n'a pas suffi à le déstabiliser, ni le désespoir des agriculteurs, ni la perte de nos racines culturelles, ni les atteintes au respect du vivant dans la conduite des élevages industriels. À l'heure de la COP21, c'est peut-être le bilan écologique calamiteux qui pourrait faire bouger les lignes et nous conduire à remettre en question notre mode alimentaire occidental.

Face à des signaux climatiques alarmants, une prise de conscience écologique est née et tous les pays se sentent désormais concernés, même s'ils affichent des degrés de responsabilité et d'engagement différents. Une sensibilisation de même nature n'a pas été conduite sur la fragilité et la durabilité de notre chaîne alimentaire. Les politiques, qui craignent d'affronter les lobbies, se gardent bien d'évoquer cette question, et continuent d'émettre des vœux pieux sur la continuation du modèle alimentaire à la française. Pourtant, comment pourrions-nous maîtriser les questions écologiques sans remettre en question notre manière de nous alimenter, sachant que les modes d'agriculture et d'élevage ont un impact majeur sur l'environnement. De la même façon, est-il raisonnable de continuer à gérer séparément les questions de santé et le suivi de la chaîne alimentaire, alors qu'une offre alimentaire inadaptée est la principale cause de nombreuses maladies chroniques ?

Les carburants mieux contrôlés que les aliments !

Pour améliorer l'état nutritionnel de l'ensemble de la population et nous appuyer sur une agriculture écologique, nous aurions besoin d'une prise de position politique sur l'évolution de l'alimentation, au même titre que la transition énergétique. En voici les grandes lignes.

Le système alimentaire de type occidental n'est plus tenable parce qu'il repose sur une consommation beaucoup trop élevée de produits animaux, et de produits transformés riches en calories vides (sucres, gras, amidon ajoutés). L'abus des calories d'origine animale n'est pas bon pour la santé humaine et particulièrement coûteux pour l'environnement. De même qu'il faut réduire les émissions de CO2 inutiles, ces excès et ces déséquilibres caloriques doivent être corrigés par tous les intervenants de la chaîne alimentaire. Il revient en premier à l'agriculture d'assurer une offre avec moins de productions animales et davantage de productions végétales les plus diversifiées possible, et de développer une agroécologie nouvelle sur ces bases.

Il faudrait également remettre en question les pratiques du secteur agroalimentaire. Ce dernier a parfaitement maîtrisé les objectifs de sécurité microbiologique, mais continue toujours à abuser des calories vides et à produire trop d'aliments sans intérêt nutritionnel. Vu l'abondance de la malbouffe, il est clair que la qualité des carburants pour nos véhicules est mieux contrôlée que le contenu nutritionnel des aliments transformés par l'industrie. La société tout entière peut faire pression pour que cela cesse.

Exemplarité

Un objectif de réduction de moitié en 20-30 ans de la consommation de calories d'origine animale serait demandé aux filières et aux consommateurs. Puisque nous partons d'un niveau de consommation élevée (le tiers des calories totales), une telle baisse serait compatible avec notre art de manger. En libérant à long terme, près de 30 à 40 % des surfaces agricoles, la baisse de consommation de produits animaux permettrait de conduire les élevages et l'agriculture de manière plus écologique et de diminuer d'autant les émissions de gaz à effet de serre. Ce serait également la seule façon d'assurer la sécurité alimentaire pour une humanité plus nombreuse. Un meilleur usage des aliments de base (produits céréaliers, légumes secs, autres féculents, fruits et légumes) permettrait enfin de disposer d'une offre alimentaire optimale pour la santé.

Qu'un pays tel que la France dise stop à la malbouffe en taxant les calories vides et en faisant pression sur le secteur agroalimentaire pour qu'il produise des aliments de meilleure qualité nutritionnelle, affichant ainsi clairement la fin d'un modèle de surconsommation de produits animaux, aurait une valeur d'exemplarité au niveau international. Et que ce soit la France, riche de ses terroirs et de son patrimoine culinaire, reconnue par l'Unesco pour son art de manger à table, qui ait pris cette initiative aurait un effet d'entraînement considérable. Même s'il faisait l'objet de nombreuses résistances, un tel message finirait par être largement approuvé.

Long terme

Que l'on ne nous objecte pas à ce propos des arguments économiques, cette chaîne alimentaire adaptée à l'homme et à la nature pourrait dégager la même valeur marchande. Même si ces évolutions sont par nature de long terme, l'essentiel est que le cap soit clairement fixé. Ce changement de paysage alimentaire, inspiré du modèle méditerranéen, mais avec des caractéristiques plus universelles, permettrait de diminuer nettement les dépenses de santé qui ont atteint des niveaux difficilement supportables.

Nous devons en finir avec l'immobilisme et le silence actuels. Que la nécessité et la possibilité de sortir du système alimentaire de type occidental soient discutées, que les partis politiques se prononcent sur ce sujet, que des rencontres citoyennes en débattent. Mais de grâce, à l'ère du réchauffement climatique et de la pandémie d'obésité, la politique alimentaire ne doit plus faire perdurer un modèle existant si peu durable !
---
Source : Par Christian Rémésy, Nutritionniste et directeur de recherche Inra, lepoint.fr, 13/12/2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire