vendredi 23 septembre 2016

Doit-on arrêter de manger de la viande ?

Directeur du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, le Dr Jean-Michel Lecerf publie "La viande : un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout ?" Dans cet ouvrage, il veut remettre de la raison au cœur d’un sujet parfois controversé. Entretien.

Qu’avez-vous voulu démontrer avec ce livre ?

J’ai voulu apporter un éclairage global, complexe et scientifique sur un aliment qui suscite passions et controverses. En dédramatisant le sujet et en replaçant la viande au sein de sa culture et de son histoire. Je suis contrarié de voir qu’aujourd’hui l’alimentation est instrumentalisée, alors qu’elle est un fait important qui devrait nous réjouir plutôt que nous fâcher.

Depuis combien de temps la consommation de viande fait-elle l’objet de contestation ?

L’alimentation a toujours fait l’objet de polémiques. La pomme de terre et la tomate ont mis des années à s’implanter dans nos assiettes après leur arrivée d’Amérique ! On criait au feu ! [Il a fallu plusieurs siècles pour que ces deux aliments fassent partie du régime alimentaire de tous les Français, NdlR] Les débats sur la viande datent de plusieurs dizaines d’années. Les raisons sont diverses, le rapport à l’animal en est une. Il est semblable à nous, avec les muscles – à la différence des légumes – et devient donc plus proche de nous, en même temps qu’il devient plus lointain car il n’est plus élevé à nos côtés.

Sommes-nous fondamentalement des mangeurs de viande ?

L’homme est fondamentalement omnivore, c’est-à-dire mangeur de tout ! Ce qui inclut la possibilité de manger de la viande, mais bien d’autres choses. Des populations ont toujours été végétariennes, donc, on peut être plus ou moins carnivore. C’est ce que je défends dans le livre : l’omnivorisme plutôt que la viande. En manger moins, pourquoi pas. Ne plus en manger du tout, pourquoi pas. On peut être en bonne santé en mangeant de la viande comme en mauvaise santé en la supprimant complètement de son alimentation et vice-versa. Mais si on exclut la viande de son alimentation, il faut le faire pour de bonnes raisons, sans être télécommandé par personne. Car la viande est légitime.

Qu’est-ce qu’elle nous apporte ?

D’abord du plaisir, de la culture, de l’histoire, ce qui n’est pas négligeable. Ensuite, bien évidemment, des nutriments : protéines, fer, zinc, acides gras. Ce sont des éléments indispensables pour notre corps, mais qui ne sont pas propres à la viande. Donc, la viande est utile, mais pas indispensable.

Par quoi peut-on la remplacer ?

On peut aller chercher les nutriments ailleurs, des aliments ont les mêmes vertus, mais pas forcément toutes d’un coup. Poissons, œufs, produits laitiers, lentilles apportent quelques-uns de ces nutriments. Mais on trouve plus facilement le fer dans la viande.

On présente parfois la viande comme dangereuse. L’an dernier, une étude mettant en avant la corrélation entre cancer du colon et consommation de viande rouge était à la une des médias…

Il y a des gens qui mangent trop de viande : au-delà de 500 grammes par semaine de viande rouge (bœuf, porc, veau), crue ou cuite, c’est trop. Manger de la viande avec modération, en la modulant avec des légumes, en faisant attention au mode de cuisson, n’est pas dangereux pour la santé. Quant aux études, attention à bien les lire. Sur celle en question, il aurait fallu retranscrire dans les médias : la consommation excessive de viande rouge (supérieure à 100 grammes par jour en poids cuit) ou de charcuterie (supérieure à 50 g par jour) est associée à une petite augmentation (plus de 15 à 20 %) de risque du cancer du côlon.

Donc, la consommation idéale est de…

La recommandation officielle est de ne pas dépasser 500 grammes de viande rouge par semaine. Mais ça peut être moins. À titre personnel, j’en mange une à deux fois par semaine, parfois moins. Mon conseil est de deux fois par semaine. Mais je le répète, il faut raisonner globalement : la viande ne peut pas tout résumer.

Vous évoquez le rôle de la cuisson. Alors, exit le grillé et les bons barbecues d’été ?

Griller, poêler ou rôtir induit la formation d’amines hétérocycliques, ce sont des molécules cancérogènes. Manger du steak grillé deux fois par jour n’est pas bon. On peut encore poêler ou griller mais il ne faut pas que ce soit systématique. Il faut varier et privilégier le bouilli avec du bourguignon, du pot-au-feu, du petit salé, de la langue au court-bouillon, de la blanquette de veau… La cuisson au barbecue apporte encore d’autres molécules cancérogènes. Mais il ne faut pas s’interdire un barbecue une fois par mois l’été, accompagné de légumes. L’alimentation, ce sont aussi des moments de partage et de plaisir.

Vous consacrez un chapitre au bien-être de l’animal…

Il ne faut pas le négliger, on doit être respectueux. Les mauvais traitements sont des exceptions, la plupart des professionnels de l’élevage adorent leurs animaux. Mais manger de la viande est une chose ni choquante ni coupable ni criminelle, si l’on est attentif au bien-être de l’animal – en veillant à ce qu’il ne devienne pas plus important que le nôtre. Nous ne sommes pas un animal comme les autres, mais nous devons faire attention à la nature et notamment ses aspects environnementaux. À ce titre, produire de la viande avec des pâturages plutôt que dans une logique d’élevage intensif relève du bon sens.
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Source : ouest-france.fr, propos recueillis par Nicolas Montard, 22/09/2016

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