mardi 20 septembre 2016

Viande sans viande : le steak se réincarne

Souffrance animale, pollution… la bidoche a du plomb dans l’aile. Alors, finis les barbecues ? Pas forcément : pour les accros au goût carné, des substituts existent.

Sur le grill, un steak haché et un filet de poulet. On entend le crépitement caractéristique de la viande cuite au barbecue. Glissée entre deux buns, elle est tendre, grillée par endroits. En bouche, on retrouve le goût du bœuf, de la volaille. Et pourtant, ce n’en est pas. Froment, soja, pois… Il s’agit en fait de viande végétarienne, composée de «végétal compressé, parfois mélangé à du blanc d’œuf», explique Philippe Comte, cofondateur de la Boucherie végétarienne. Depuis juin 2015, sous cette enseigne en forme d’oxymore, il propose ces produits avec Isabelle Bensimon, dans le XIIe arrondissement de Paris. Ici, pas de carcasses, pas de poulets qui rôtissent. Deux vitrines de congélation, quelques tables et un comptoir où se préparent burgers et wraps végétariens ou végétaliens. C’est fou, mais on s’y trompe. Visuellement et gustativement. «On arrive à reproduire la texture, mais aussi le goût, détaille Tristan, chef de vente du magasin. Reproduire le goût de la viande, c’est surtout une question d’assaisonnement, on piège notre cerveau. Le sel, par exemple, est très important.» Les préparations qu’ils vendent et cuisinent sont préparées aux Pays-Bas, le royaume de la viande végétale. «Mais nous contrôlons toute la chaîne de production», souligne Philippe Comte. Au menu, des produits issus de l’agriculture biologique et responsable.

Sang à base de racines

Plus d’excuse, donc, pour préférer la vraie viande ? Selon les créateurs de la Boucherie végétarienne, il y aurait «au moins autant» d’apport en protéines dans ces produits que dans la viande animale. «Ce régime peut même convenir à un sportif», assurent-ils. Seul élément manquant, selon eux, la vitamine B12. Jean-François Hocquette, directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), met toutefois en garde : «Ce qui change, c’est l’apport qualitatif.» Pourtant, Philippe Comte en est sûr, «ce que nous vendons, c’est mieux que de la viande». Quid du prix ? Les 200 grammes de fausse viande hachée coûtent 5,20 euros. Moins cher qu’un vrai steak chez le boucher, mais plus que dans un hyper.

Aux Etats-Unis aussi, on s’emballe pour la viande végétale. Bill Gates et Google se sont bousculés pour financer la start-up Impossible Foods, qui parvient, avec des racines, à produire du «sang» végétal. Résultat, depuis deux mois, les New-Yorkais peuvent goûter une viande de substitution bien saignante. En France, le marché, encore jeune, cible plutôt les personnes «en transition», explique Philippe Comte. «Ceux qui sont végétariens depuis longtemps se sont déshabitués du goût de la viande. Nous nous adressons à ceux qui tendent vers le végétarisme. Cela leur permet de garder leurs habitudes alimentaires.» S’il a ouvert sa boutique, c’est «pour faire découvrir ce produit». Car il faut le voir, et surtout y goûter, pour y croire. Apparemment, ça marche. «Nous avons atteint les 11 000 likes sur notre page Facebook et livrons dans toute la France», poursuit Philippe Comte. Depuis la rentrée, sa «boucherie» fournit aussi les écoles du XIIIe arrondissement qui proposeront des menus contenant de la viande végétale toutes les deux semaines. Et peut-être bientôt Disneyland, avec des hot-dogs végétariens.

Le bureau d’études de marché américain Market and markets lui donne raison en estimant que les ventes mondiales de substituts de viande augmenteront de 6,4 % par an entre 2015 et 2020. Mais «les gens ont beaucoup d’a priori», regrette toutefois Tristan. Séduire les 43,5 % de Français refusant de se passer du goût de la viande reste difficile.

Les Pays-Bas, eux, semblent très en avance. C’est dans ce pays, où 85 % de la population se déclare flexitarienne (réduire au maximum sa consommation de viande et fait attention à sa provenance), que l’enseigne The Vegetarian butcher a pris pied avec 535 points de vente. Depuis, ils servent leurs produits dans plus de 900 boutiques dans le monde, dont 153 en Belgique, 85 en Espagne… mais aucune en France. Un retard qui s’explique, selon Elodie Vieille-Blanchard, présidente de l’Association végétarienne de France, par le «faible pourcentage de végétariens» au pays du steak-frites. Ils sont 3 % selon un sondage pour Terra eco contre 9 % en Allemagne, ou plus de 10 % aux Etats-Unis. La consommation de viande a même augmenté de 1 % dans l’Hexagone en 2015.

Cellules souches

Les scientifiques tentent de trouver le substitut parfait. Partant du principe qu’il n’y aura bientôt plus de viande pour tous et qu’il va falloir consommer responsable, ils se sont penchés sur la production de viande in vitro (lire pages 4-5). La première pièce, créée par le Néerlandais Mark Post, avait été dégustée à Londres en août 2013. Si la prouesse avait été acclamée, le «Frankenburger» était loin de la perfection. «Il ressemblait à un steak haché, raconte Jean-François Hocquette, de l’Inra. Mais on était très loin d’un vrai morceau de bœuf.» Car la viande recréée n’en est pas vraiment une. «Ce sont des cellules musculaires que l’on entasse, alors que le muscle animal est construit, composé de cellules adipeuses, de vaisseaux sanguins, de nerfs.» Et les consommateurs des pays développés ne semblent pas prêts à mettre de la viande synthétique dans leur assiette. Dans une enquête de l’Inra, 50 à 60 % des personnes interrogées affirment qu’elles n’en consommeraient pas.

De toute façon, s’il y a du potentiel, la viande in vitro n’est pas encore au point. Subvenir aux besoins en protéines des 7,5 milliards d’hommes sur Terre reste un débat «complexe», et «créer de la viande artificielle ne va pas résoudre tous les problèmes», souligne Jean-François Hocquette. Alors pour tous ceux qui refusent les conditions d’élevage actuelles, il existe des solutions plus évidentes : consommer moins de viande, plus de protéines végétales, ou encore manger davantage de types d’animaux… comme les insectes.
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Source : Natacha Zimmermann, liberation.fr, 20/09/2016

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